Révolution politique ou révolution sociale ?
Plus nous permettons la modernisation de l’État, plus il est difficile de s’extraire de ses filets. Nous répétons, comme d’autres avant nous, que l’État moderne n’a pas toujours existé. Nous lui survivrons. Nous avons tout à construire, donc nous devons tout ruiner ; faire table rase et mettre l’État au musée des antiquités, à côté du rouet et des députés de gauche. Cliver, prendre parti et rompre avec les mystifications de la gauche et de la démocratie, constitue la condition première à la formulation de tout horizon révolutionnaire intelligible. Pour y parvenir, nous devons arrêter de nous poser les problèmes à l’envers. En premier lieu, nous devons réfuter la primauté de la révolution politique et son inévitable cortège de confiscation et d’opportunisme. Nous voulons une révolution sociale. C’est-à-dire, un mouvement fondé sur l’élaboration et la multiplication de formes sociales inédites, offrant à chacun la liberté de jouir pleinement de sa vie. Là doit commencer le clivage. Il doit d’abord s’opérer entre nous, entre camarades, pour qu’un nous puisse exister.
Hic Rhodus, hic salta.
Il est temps de rompre avec les conceptions de la victoire héritées de la Gauche. Il est temps de penser par et pour nous-mêmes. La restauration de l’État-Providence n’est pas une victoire. Pas plus que l’évolution de la forme politique vers une République représentative davantage proportionnelle, disposant de plus d’outils référendaires, donnant plus de pouvoir aux régions et nationalisant les secteurs « stratégiques » de l’économie, n’est une révolution. N’en déplaise aux fétichistes de l’organisation, la révolution n’est pas une campagne d’alphabétisation. Elle ne nous rendra pas dépendant de l’État pour subvenir à nos besoins, nous loger, nous déplacer, nous retrouver. La révolution ne se contentera pas du plus petit dénominateur commun. Elle ne bradera pas l’autonomie contre la sécurité. The revolution will put you in the driver’s seat. Pas de limitation de vitesse.
On ne combat pas l’aliénation par des moyens aliénés.
Si les slogans sonnent si creux, c’est que le langage de la conflictualité appartient à l’ennemi. Les appels à la « grève générale » appellent en réalité des grèves reconductibles. Nos « émeutes » tiennent souvent d’avantage du trouble à l’ordre public. Les « barricades » sont, au pire des abandons de déchets sur la voie public, au mieux des blocages de la circulation. La détestation de la police est stérile tant qu’elle ne formule pas clairement la volonté de son abolition. Le refus du retour à la normale traduit simplement une augmentation de la demande pour l’agenda des directions syndicales. Cet écart entre signifiant et signifié, entre la puissance symbolique de nos catégories et l’impuissance des réalités qu’elles recouvrent, interroge. Nous avons un siècle de retard. On ne le rattrapera en consacrant, encore et toujours, les formes politiques surannées dont on attend, mouvement après mouvement, la résurrection miraculeuse. Actualiser nos représentations ne résoudra pas le problème : nous devons penser, en actes, les moyens de notre conflictualité et les perspectives de notre victoire. Faire tache d’huile, nous diffuser comme une trainée de poudre ; hors des écrans et des plateaux. C’est curieux, chez les militants, ce besoin de passer à la télévision.
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